Nouvelle « Marseille ville étudiante » – le 1er Prix
Le 26 sept 2016

1er prix du Concours de Nouvelles étudiant 2016
organisé par la Ville de Marseille dans le cadre de la Délégation Vie étudiante
Thème du Concours : « Marseille ville étudiante »
Nouvelle de Mireille MARTIN (étudiante à l’IMPGT – Aix-Marseille Université)

7h15, le réveil sonne. Nous sommes le mardi 22 septembre 2015, et comme tous les matins depuis maintenant trois semaines, je me lève pour aller à la faculté. Depuis mon arrivée, je me demande quotidiennement pour quelles raisons j’ai décidé de quitter Lyon pour poursuivre ma licence de droit ici, à Marseille. Certes, mes parents et moi-même avons vécu dans cette ville de ma naissance jusqu’à mes 7 ans, mais depuis le décès de mes grands-parents et notre déménagement qui a suivi, je n’y avais plus remis les pieds. Et me voilà désormais installée ici, Céline, tout juste âgée de 20 ans, seule dans un studio situé rue Vian, en plein centre du Cours Julien. J’avais entendu dire que ce quartier constituait l’épicentre de la vie étudiante, et c’est donc enthousiaste que j’ai signé mon bail début septembre. Je ne pensais pas que, trois semaines plus tard, je me sentirais toujours autant perdue, telle une étrangère dont les journées passent et se ressemblent, dans cette grande ville qu’est Marseille.

C’est machinalement que je bois mon café, tout en regardant par la fenêtre. Comme tous les matins, j’observe les ouvriers qui rénovent la façade de l’immeuble d’en face, et les pigeons, réunis par dizaines sur le balcon de la voisine. Le ciel est ensoleillé et les passants sont déjà nombreux dans ma rue. Mais, malgré ce temps radieux et l’agitation du quartier, c’est à contrecœur que je prends le chemin de mes escaliers.

La faculté se trouve à quelques minutes de mon appartement et ressemble à une véritable fourmilière. Pour l’instant, je n’ai discuté qu’avec quelques personnes et exclusivement de banalités. N’osant pas prendre l’initiative d’aller vers les autres, je reste donc la plupart du temps seule, et rentre directement chez moi après les cours.

De retour dans la rue Vian vers 12h30, j’arrive devant ma porte et cherche mes clés, quand, soudain, un miaulement retentit derrière moi. Je me retourne et découvre à ma grande surprise un chat noir, qui me regarde fixement. Il se tient là, face à moi, totalement immobile. «Que fais-tu là, toi?» dis-je en m’approchant doucement de lui. Ce dernier, ne semblant aucunement effrayé, m’observe de ses grands yeux verts. Je reste perplexe quelques secondes, face à ce chat se trouvant devant ma porte en bois. Je finis par monter dans mon appartement, l’abandonnant là, assis sur le trottoir. En regardant par la fenêtre, je constate qu’il n’a pas bougé d’un centimètre. Les gens passent sur le trottoir et les voitures roulent à quelques mètres mais il reste imperturbable, comme attendant quelque chose. «Étrange ce chat» me dis-je à voix haute.
Plus tard dans la journée, je repense à ce mystérieux chat et jette un coup d’œil par la fenêtre. Et là, alors que plus de deux heures s’étaient écoulées, j’aperçois l’animal, assis très exactement au même endroit, juste devant ma porte d’entrée. Il ne semble pas avoir bougé d’une oreille, comme figé dans le temps et l’espace. C’est curieux, mais j’ai comme l’impression que ce chat m’attend, moi. J’attrape ma veste et mon sac, claque la porte et retourne le voir.

«A quoi penses-tu?» lançais-je, en le fixant à mon tour. Le chat se redresse alors, me tourne le dos et se met à avancer. Il paraît irréel, tant ses mouvements sont calculés, comme économisés. Au bout de quelques pas, il s’arrête et me regarde à nouveau. Son calme et son regard pénétrant me laissent sans voix. Nous sommes à une dizaine de mètres l’un de l’autre et pourtant ses yeux verts m’hypnotisent. Par sa seule présence, ce chat me perturbe. Après quelques secondes, restée là, stupéfaite, je m’approche de lui. A peine ai-je commencé à m’avancer qu’il se retourne et continue sa route. J’ai comme le sentiment de devoir le suivre. Quand celui-ci se retourne une nouvelle fois vers moi, j’en suis alors certaine. Ce chat veut que je le suive. Où, pourquoi, comment, je l’ignore…Mais, à ce moment précis, quelque chose au fond de moi me pousse à écouter mon intuition et je décide alors de marcher derrière lui.
Le chat traverse les rues, sans aucune hésitation ni temps d’arrêt. A intervalle régulier, il se tourne vers moi, comme pour vérifier que je suis toujours là. «Mais où me mènera-t-il?» pensais-je. C’est finalement devant la terrasse d’un café du Cours Julien que le chat s’arrête. Il s’approche d’une table libre et s’allonge sous celle-ci. Ne sachant quoi faire, je reste statique quelques instants mais une voix me sort vite de mes pensées.

Bonjour! Vous commandez quelque chose Mademoiselle?» me lance le serveur, que je n’avais pas vu arriver.
-«Euh, oui, un soda s’il vous plaît» répondis-je, prise de court.
Me voici en plein cœur du quartier, installée à une terrasse de café, avec pour accompagnateur un chat
noir, étendu à mes pieds. «En temps normal, je n’aurais jamais osé venir m’asseoir seule ici» pensais-je.
Tout en buvant mon soda, je me surprends à observer ce qui m’entoure. Des chaises multicolores des cafés aux murs recouverts de multiples graffitis, en passant par les enfants qui jouent près des jets d’eau de la place, je prends tout à coup conscience de l’effervescence et de la richesse de l’endroit.
– «C’est votre chat ?» me demande soudain ma voisine de table.
– «Non, enfin, pas vraiment. Je pense qu’il vit ici» répondis-je.
– «Oh ça ne m’étonne pas. Dans ce quartier tout le monde va et vient, se mélange, se croise, se parle.
Les gens savent que c’est un endroit très agréable à vivre. Les chats le comprennent peut-être même davantage».
Je réalise qu’elle a raison. Cette ambiance de vacances et cette explosion de couleurs et de sonorités révèlent à mes yeux le potentiel du quartier dans lequel je vis depuis presque un mois, et qui m’était pourtant jusqu’alors totalement inconnu. J’analyse silencieusement ce spectacle pendant plusieurs minutes, savourant chaque scène se déroulant sous mes yeux.
C’est en regardant à mes pieds que je m’aperçois que le chat s’est relevé, quittant le dessous de la table pour aller s’asseoir de l’autre côté du Cours Julien, devant de grands escaliers. Je paye mon verre et le rejoins sans hésiter. Une fois à ses côtés, une vue surprenante de Marseille s’offre à moi. Du haut des escaliers, parsemés de graffitis plus originaux et colorés les uns que les autres, nous surplombons de nombreuses rues de la cité phocéenne, qui semblent tracer une ligne parfaitement droite entre le quartier du Cours Julien et le centre-ville.

Le chat descend lentement les escaliers, comme pour me laisser le temps d’admirer le paysage qui défile sous mes yeux. Nous traversons le cours Lieutaud par un pont, sous lequel la circulation des voitures bat son plein. Mais le vrombissement des moteurs laisse vite place au calme des ruelles étroites et pentues, faisant penser à celles d’un village. «Je découvre plus de facettes de Marseille en suivant ce chat, que seule en trois semaines» pensais-je. Nous continuons ainsi notre balade, traversant les rues de Rome et Saint-Ferréol, passant devant l’Église Protestante de la rue Grignan et le musée Cantini, avant de descendre par la rue Breteuil pour atteindre le Vieux-Port.

A chaque coin de rue se révèlent à moi des architectures impressionnantes, des endroits insolites, des ambiances différentes… et je réalise que je n’avais pas encore laissé l’occasion à cette ville de me surprendre. Suivant aveuglément mon guide félin, je constate que mon regard sur Marseille change et évolue de minute en minute. Sur les bords du Vieux-Port, je contemple le va-et-vient des embarcations, des passants et des mouettes. Il est 17h et je me demande comment cette journée va prendre fin. «Ce chat a-t-il un but où m’emmène-t-il sans réfléchir de lieu en lieu, au gré de ses envies?» me demandais-je. Nous longeons ensuite le quai de Rive Neuve, passant devant le Bar de la Marine, le Ferry Boat et la Criée, jusqu’au Jardin du Pharo. Arrivés sur les hauteurs de ce jardin, le chat décide de s’assoir dans l’herbe, face à la mer. C’est en m’asseyant à ses côtés que je remarque un panorama incroyable : dominant l’ensemble du Vieux Port, l’endroit offre une vue saisissante sur le Mucem et le Fort Saint-Jean, sur la cathédrale de la Major et sur la célèbre Notre-Dame de la Garde, «mère des Marseillais».

- «C’est magnifique, non?» me lança un jeune garçon, assis un peu plus loin.
– «Oui, et pas qu’un peu. Dire que je n’étais jamais venue ici…» répondis-je.
– «J’espère que tu as une bonne excuse! Quand on est marseillais, on se doit de connaître sa ville».
– «Je ne suis pas d’ici, enfin, pas tout à fait. Je suis née à Marseille mais j’ai surtout vécu à Lyon».
Nous discutons un bon moment, échangeant sur nos vies respectives et nos ressentis au sujet de Marseille. Le soleil commence à se coucher quand je m’aperçois soudain que le chat ne se trouve plus à mes côtés. J’en avais presque oublié sa présence et ne l’ai pas vu partir.
Je décide de rentrer quand mon nouvel ami me rattrape «Attends! Tu as oublié ça dans l’herbe» dit-il en me tendant la figurine d’un chat noir. Je reste interloquée. Cette figurine, je la reconnais. Ma grand-mère maternelle me l’avait offerte ici, à Marseille, quand j’étais enfant. Nous avions dû la perdre lors du déménagement car je ne l’avais jamais retrouvée en arrivant à Lyon. Tout se bouscule alors dans ma tête. Le mystérieux chat noir, son regard pénétrant, la forte intuition de devoir le suivre … tout cela ne pouvait être une coïncidence. Je réalise soudain l’importance de cette journée, le bien-être que je ressens à cet instant, et le profond sentiment d’avoir été guidée par une personne m’étant familière. Je ne peux m’empêcher de penser que ce chat, c’était sûrement elle. Alors que je me sentais complètement perdue, il m’a aidé à ouvrir les yeux, me faisant découvrir Marseille autrement et me montrant tout ce qu’elle a à offrir, si on se donne la peine d’aller à sa rencontre.
Moi qui me pensais étrangère dans cette ville, je me rends compte que j’étais dès le début, sans le savoir, exactement où je suis supposée être. Ici, à Marseille.